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chapitre 3

mars


 

5 mars

Séance de longe aujourd’hui. La carrière est tout juste praticable. Les pistes sont ok mais le centre est en terrain bien lourd tout de même. C’est une fin de journée éclairée par un soleil d’hiver qui rêve de printemps. Il fait frais mais la lumière est belle et dorée. Le soleil se couche dans des couleurs superbes et j’ai l’impression d’appartenir à cette spendeur. Ce soir tout est harmonie. Tout est beau et calme. Le monde se sent bien autours de moi et je suis pareil. Des arbres, aux oiseaux, de la terre au ciel, tout  n’est qu’une seule merveille. J’ai travaillé comme un ange dans ce soleil couchant. Laura a fait des photos. Je me souviendrai longtemps de cette fin de journée. Je m’en souviendrai toute ma vie.

 

7 mars

Nous, chevaux,  nous commençons à muer. Je perds mon poil rêche des sombres mois d’hiver. Et c’est un velours blanc à pois qui prend la place. Sous ma crinière, c’est doux, tout doux. C’est vrai que je suis à pois. On dirait un dalmatien…  Bon avec un peu d’imagination tout de même. Mais vous avez remarqué, je n’en manque pas.

La fille de la dame a dit : Regardez Nubia s’est roulée là. C’est vrai, l’herbe verte  est couverte de poils blancs de Petite Soie. On dirait de la poudre de nuage déposée par le ciel.

 

8 mars

Sur la carrière, enfin, praticable Sganarelle a été longé et Ulaszo monté. Moi, j’ai appelé, appelé, et galopé aussi, galopé… Toutes ces attentions pour les potos. Et moi personne ne m’a monté.

Je reprends de l’état mais je suis encore trop maigre parait-il…. J’aurai tellement aimé être à la place des deux autres et avoir mon cavalier sur mon dos. J’aurai été fier, fier. Au lieu de cela, j’ai galopé pour attirer l’attention et j’ai appelé pour attirer l’attention.

Est-ce que l’autre côté de tous mes petits mots, vous m’entendez hennir ? Dites, est ce que vous m’entendez ?

 

.... 

11 mars

Photo non retouchée ! Quand je vous dit que les chevaux blancs sont toujours en harmonie avec le ciel !
Coucher de soleil rose ce soir.

...

Les batailles

Il y a de celles qui vous conduisent sur les podiums à travers le monde. Il y a celles qui vous font affronter vos peurs les plus enracinées. Il y a celles qui se remportent en victoires triomphantes avec des tours d’honneurs, le flot à votre frontal. Il y a celles qui se gagnent avec pour tout spectateur un soleil couchant sur une carrière de sable. Il y a celles qui ont un goût de triomphe, et celles qui ont un goût amers. Il y a ces batailles qui se gagnent au galop sur la dernière ligne droite, le peloton dans le sillage. Il y a celles qui se remportent une nuit dans un box, un véto à vos côtés. Dans une vie de cheval, comme dans une vie d’homme ou de demoiselle,  les batailles sont là. Il y a des petites et il y a les grandes, celles qui laissent les cicatrices ou bien des souvenirs d’instants de grâce.

De toutes ces batailles, de tous les combats d’une vie, il me semble que le plus difficile à mener est celui contre l’adversité.

L’adversité est un ennemi redoutable et sournois. Quelle bataille ! Il n’y a ni panache, ni couronne, ni coupes et flots à l’arrivée... Juste de la dignité. Moi je me bats tous les jours contre l’adversité.  Avec courage, avec mes moyens à moi de petit cheval, je tiens tête à cette adversité. Avec ma petite âme de cheval abandonné, avec mon petit cœur à protéger et à aimer, je lui dis dégage adversité !

Je sais, qu’un jour, quelqu’un s’attachera à moi, m’aimera, prendra soin de moi. Et alors, ce jour-là, je ne vous dis pas, comment, à deux, on l’enverra balader cette adversité.

Et ce sera la plus grande et la plus belle des victoires car elle conduit à l’amour.

Dixit petit cheval EStimauville.

 

Samedi 14 mars

Inquiétude

Il a fait froid, toute la journée. Un vent glacial soufflait sur les prairies. Le matin, j’avais quitté l’écurie avec ma couverture bleue maronne sur le dos. Cela avait été une bonne idée. Après quelques jours de soleils, il est bien dur de retourner à ces températures si fraiches. Et le vent qui soufflait n’était vraiment pas agréable.

En fin de journée, du monde est passé me voir dans mon herbage. C’étaient des comédiens. Il y avait le grand monsieur et aussi une dame à la crinière blonde et longue. Elle était toute douce cette dame. Elle m’a emmené vers les écuries.  Je me suis interrogé. Allais-je partir ? Ces visages autours de moi allaient-ils être annonciateurs d’un nouveau départ ? Ce n’était pas tant l’idée de partir qui m’a inquiété. C’était l’inconnu possible. Avoir chaud, manger à se rassasier sans se couper les gencives, les fers qui cliquent qui claquent. Allais-je perdre cela ?

Le soir le grand monsieur m’a apporté ma ration. Les comédiens ne sont pas si différents des autres humains me semble-t-il. Finalement, la dame m’a parlé, calmement.  Les comédiens sont repartis dans leur vie et moi je suis retourné à la mienne. La dame m’a expliqué que c’était tout à fait dans la normalité d’avoir des pieds en bon état, des dents pas trop longues, une litière propre, des repas réguliers et équilibrés.

Moi, j’ai connu des quotidiens qui étaient moins confortables. J’avais fini par croire que c’était ça, la normalité. La petite souffrance au quotidien, c’était ça, pour moi, la normalité. Je m’étais trompé, à moins que ce ne soit la vie qui n’ait fait fausse route à un moment donné. A présent, je sais que cela peut être agréable et confortable, la normalité. J’aime bien moi quand c’est normal comme ça. Je trouve cela rudement chouette. J’ai alors fait du ménage et l’inquiétude a été balayée. J’attends serein ma normalité future !

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Lundi 16 mars

Le p’tit crâneur

Et voilà qu’un nouveau est arrivé... Un nouveau... Un p’tit nouveau… Un chou, un p’tit crottard, un tiot bello comme ils disent par ici.

Ce matin nous l’avons entendu hennir. Il  s’adressait à la dame qui s’éloignait de son box, situé à l’extérieur de notre écurie. Nous avons tous dressé la tête et les oreilles. Nous avons écouté et personne ne lui a répondu. Mais nous avons compris qu’un nouveau était dans le coin. Au timbre de la voix, c’était sûr, le nouveau,  c’est une crevette.

Un peu plus tard, une fois installés dans nos paddocks respectifs, nous avons vu arriver, un pt’tit trois ans tardif, tout d’abord timide, cherchant on ne sait quoi. Puis il s’est dirigé direct vers Sganarelle dont la stature impose le respect. Le petit allait se présenter au chef. Un bon point pour le petiot sans doute pas si stupide puisqu’il avait déjà capté que le patron, c’était Sganarelle.  Sganarelle, impassible, se tenant, droit, tout en hauteur sur ses immenses jambes, les oreilles pointées en direction du nouvel arrivant. Faut reconnaitre qu’il a de la prestance, le patron lorsqu’il se tient ainsi. Une sculpture équestre toute en blondeur aux reflets roux. La grande classe. Et voilà que naseaux contre naseaux, les encolures en arrondis, les présentations se sont faites. Ulaszlo s’en est mêlé. Le nouveau  a fait ses commentaires, a couiné. 

Grand dieux des chevaux ! Qui ose parler ainsi à Sganarelle ? A peine arrivé, et voilà ce bout de jeune cheval qui manque de respect au Seigneur de nos écuries. Parce que là, le Sganarelle, il dépasse le poste de Patron tant il est en splendeur calme et posée. Et le petit bout de chose épais comme une claquette, une chose sans muscle, couinait, trottait en crâneur des bacs à sable, l’encolure relevé, son épaisse crinière sombre au vent. Il a longé les clôtures, jetté un œil aux deux filles qui l’observaient, remonté tout en élégance vers l’herbage du haut ou Sganarelle et Ulazslo ne le quittaient pas des yeux. C’est bizarre, le petit, il me rappelle quelque chose ou quelqu’un. C’est comme si j’avais déjà vu ce genre de déplacement, relevé, équilibré, élégant dans le geste… Je ne sais plus. J'ai suivi avec acuidité l’évènement du jour repartir en conversation avec notre chef à tous. La dame, n’était pas loin, elle aussi observait. Nous étions donc au complet. La suite pouvait arriver.

La suite, ce fût un rang de clôture électrique arraché d’un antérieur fringant du jeunot, une danse des têtes entre lui et Sganarelle, Ulazslo  qui en profita pour filer draguer Nubia. La jolie Petite Soie se tenait en retrait, derrière l’Altesse. Gueule d’Amour, pas fou, fît des tendresses à notre petite Espagnole blanche. Flattée, cette dernière agita doucement sa si jolie encolure. Moi j’étais jaloux. J’étais trop loin des filles et de Gueule d’Amour. Je lui  ai crié : dragueur de fête foraine,  cheval  en bois de manège. Le tout dans une indifférence générale.

C’est le drame de ma vie, l’indifférence générale.

Heureusement, Cirène était là. Son altesse n’apprécie guère que l’on courtise sa dame de compagnie. Elle t’a dégagée le dragueur d’écurie d’un balancement de tête, oreilles couchées et moi, je m’en suis trouvé bien content, soulagé. Nubia s’est éloignée d’un petit trot aérien. Les histoires, les complots, les conflits, ce n’est pas pour elle. Elle est descendue vers la haie aussi gracieuse qu’un petit nuage balayé par une bise d’été. Elle est si belle que j’en soupire.

Le petit nouveau s’est adressé à la vieille jument… pardon je manque de respect… à la jument d’âge mur, à l’Altesse. Curieusement, celle-ci se montra de bonne composition. Mince alors ! Elle a rudement changé alors. Finies des bouderies, la tête des mauvais jours, l’œil sombre et les oreilles couchées… On nous a changé l’Altesse. Et le petit jeunôt qui s’est s’autorisé des familiarités et l’Altesse qui a fait, à peine, à peine, des manières.

Là, nous avons un spécimen de la petite crânerie, un môme, un gosse qui se la pète un peu, un pt’ gars des faubourgs pour ainsi dire.

Et puis, il est enfin venu vers moi, se présenter. N’étant plus le dernier arrivé, je tenais  à mon nouveau rang. Et je lui ai montré que je savais aussi faire des manières, et trottiner l’encolure enroulée et haute. Ben tiens ! J’ai trotté comme je sais faire, à la manière des Dieux. J’ai enroulé mon encolure tout en portant ma tête, placé comme un cheval en reprise de dressage. J’ai trotté en cercle, galopé, aérien. J’ai montré ce dont j’étais capable. Et j’ai bien vu que petite Soie Nubia galopait derrière moi. Du coup, j’en ai rajouté encore un peu.

En réponse, le minot a arraché un autre rang de clôture électrique avec son antérieur. Décidément, c’est une manie. Je lui ai bien montré que je savais faire de même et j’ai ramené le ruban blanc de la clôture vers mon paddock.

Ha, cela aura été bien distrayant aujourd’hui, avec l’arrivée de ce bout de nouveauté fringuant ! Un nouveau dans l’équipe, ça jette un sacré jus. Tout le monde caracole, fait le beau, la roue, le fier. Quel spectacle ! C’est joyeux même si ça braille un peu. La dame aussi braille : mes clôtures !

L’après-midi, une vétérinaire est venue dans les herbages. Le petit est arrivé à la maison avec un œil fermé qui pleurait. Nous étions tous sages. On faisait mine de rien, on broutait tous le nez dans l’herbe. Mais c’est un style, parce que nous avions tous les oreilles et les regards tournés vers la véto, la dame et le bout de truc sirop de la rue. J’espère que ça va aller pour lui. Le bout de truc sirop de la rue…. Il se déplace de façon si aérienne, si élégante…. Mais où ai-je déjà vu de tels déplacements ?

...



 

20 mars

C’est le printemps. L’heure du renouveau a sonné. Il fait frisquet, mais les oiseaux chantonnent de partout dans les haies, l’herbe commence à pousser. Dans l’herbage à côté du mien, la jolie petite espagnole est venue me trouver. Elle s’est avancée, délicatement, en posant ses petits sabots ronds précautionneusement sur le sol meurtri par l’hiver. Elle a tendu son petit nez au-dessus de la clôture dans ma direction. Elle a agité sa tête aux grands yeux noirs, son long toupet blanc s’est balancé doucement, voilant le doux regard aux cils si longs. Bonjour la séance de charme ! Le reste du monde n’existait plus.

C’est le printemps.

 

21 Mars

Le rêve

Hier soir, je me suis endormi dans mon box, à côté de celui de Sganarelle. Et j’ai rêvé. J’ai rêvé d’une autre écurie et d’un autre box. J’ai rêvé d’un avenir ou quelqu’un me regardait. Quelqu’un me regardait avec intensité, avec tendresse. Et cette personne c’était toi. J’entends encore ta voix que je ne connais peut être pas encore, je vois encore tes yeux qui sont posés sur moi. Et dans ce regard-là,  je constatais que j’existais, que j’existais vraiment puisque j’existais pour quelqu’un et que ce quelqu’un c’était toi.  J’ai mené ma vie faite de hauts et de bas pour parvenir jusqu’à cet instant ou j’existerai pour toi et tu existeras pour moi. Tu viendras forcément puisque je n’ai cessé de t’attendre depuis les débuts. Je n’ai cessé de t’espérer, je n’ai cessé de t’aimer sans le savoir encore. Mon être humain ma moitié, mon double, mon prolongement, la part de ma vie qui me manque tant.

Tu existes forcément. Je ne suis pas né pour être juste un animal de plus sur cette terre tant encombrée. Je suis bien là parce qu’il arrivera un moment ou ta route et la mienne se croiseront pour ne former plus qu’une, une seule petite route, vers le bonheur. Elle nous éloignera de la solitude, de ma non existence.

Cette nuit j’ai fait un rêve. Et au matin, je pouvais encore entendre le souffle de ta voix me chuchotant des mots à mon oreille. Ca m’a donné la patience d’attendre encore, la patience de t’attendre.

Mais s’il te plait, viens vite, viens vite.

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avril

 

 


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